Les trois ne font pas le mois

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Chers clients,

Nous nous souviendrons sans doute tous de cette année historique que sera 2020 et ce, pour plusieurs raisons dont le comportement des marchés financiers pendant la pire crise sanitaire de notre époque. Regardons ce qui s’est passé sur les bourses ces derniers jours.

Pour une troisième séance consécutive, les principales places boursières ont progressé pour s’éloigner du creux d’environ -34% atteint lundi cette semaine par l’indice phare du S&P500. Si on ne regardait que les grands titres, on pourrait être tenté de croire qu’en trois jours la moitié des pertes a été effacée puisque ces trois séances très actives ont cumulé environ 17% à la hausse. Pourtant, lorsqu’on regarde le graphique qui suit, on voit qu’on est encore loin du sommet de la mi-février, et même loin de la mi-chemin vers ce sommet.

S&P500 – SIX DERNIERS MOIS

C’est qu’en fait, à la suite d’une perte de 34%, il faut mathématiquement faire des gains de plus de 52% pour revenir au point de départ. Nous n’en sommes pas là, loin s’en faut. On peut dire qu’il était grand temps de mettre fin à la séquence qui avait vu 32 séances consécutives sans permettre deux séances positives de suite.

Mais y a-t-il un véritable changement de direction sur les marchés? On a déjà vu dans le passé des comportements boursiers qui défiaient les données et l’environnement économiques. Voyons ce qu’il en est:

  • Des demandes d’assurance-chômage sans précédent de 930,000 la semaine dernière au Canada (nous vous avions dit 500,000 dans notre note de samedi mais le gouvernement a tout bonnement révisé le chiffre à la hausse, du double). Ce chiffre est plus de 34 fois plus élevé que l’an dernier à pareille date.
  • Des nouvelles demandes d’assurance-chômage de plus de 3 millions de personnes aux USA, du jamais vu même durant la Grande Dépression de 1930. Le record précédent était de 700,000.
  • La réalisation que les millions de personnes qui se retrouveront au chômage aux USA perdront par le fait même l’assurance-santé reliée à leur ancien travail, précisément au moment où ils en auront potentiellement le plus besoin.
  • L’administration fédérale américaine qui garantit les hypothèques (l’équivalent de notre SCHL) qui déclare que plus du quart des ménages consacrait déjà la moitié de leur revenu au remboursement de dettes même avant le début de la présente crise. Considérant que le marché résidentiel est de plus de 15,000 milliards US, les défauts de paiements pourraient être considérables malgré les aides gouvernementales.
  • Les grandes banques américaines qui prévoient une contraction de l’économie de 25% à 30% pour le deuxième trimestre (avril-mai-juin).
  • Un cycle de production qui ressent déjà les contrecoups de la fermeture de nombreuses entreprises et fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement.
  • Des spreads de crédit sur les marchés obligataires corporatifs qui indiquent un taux de défaillance (faillite) aussi élevé que durant la crise de 2008.
  • Des indices de confiance des manufacturiers (PMI) en Europe et en Asie qui battent déjà des records à la baisse et une mesure de confiance de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante qui atteint ce mois-ci un creux historique absolu.
  • Un bilan (balance sheet) à la Réserve Fédérale américaine qui atteint 5,000 milliards US, du jamais vu.
  • Les compagnies les plus à risque et les plus endettées sont souvent à plus petite capitalisation et ne font pas partie des indices boursiers les plus suivis. Bien qu’elles soient cruciales pour l’emploi de millions de personnes, leur réalité n’est pas reflétée par les envolées boursières qui peuvent faussement donner l’impression que «tout va mieux».
  • Sur le plan des liquidités et du crédit, la plus grande crainte provient du système non bancaire et du risque d’appels de marge sur des milliers de milliards de dollars d’instruments financiers. La Fed n’a aucune emprise sur ce secteur de l’économie (le shadow banking).
  • De plus en plus de dirigeants et d’analystes qui prévoient que les entreprises qui ferment soi-disant temporairement ne rouvriront pas toutes, ou pas toutes de la même façon qu’avant la crise. Et celles qui survivent mieux en ce moment ne savent pas quelle sera la demande pour leurs produits post-coronavirus (ex.: quand les gens ont acheté du papier hygiénique ou des produits nettoyants pour des mois à l’avance).

Soulignons ici que nous ne nous réjouissons pas de cet état de situation, au contraire. Mais il serait en somme plus simple de dire que pratiquement tous les indicateurs économiques que nous suivons pointent vers une période difficile devant nous. Qu’à cela ne tienne, les marchés ont transigé entre autres sur le sentiment (ou l’espoir) que les mesures gouvernementales sauront compenser et apaiser la crise économique qui bat son plein. Plusieurs ont aussi transigé sur la simple peur de manquer la reprise, ce qui ne remplace pas une analyse fondamentale.
Les partisans de la reprise rapide disent que la réaction de départ à la baisse était trop forte de toute façon. Ce n’est pas impossible, comme c’est souvent le cas quand les grands investisseurs agissent en troupeau. Mais trois séances à la hausse ne prouvent pas que tout est réglé. Durant les bear markets précédents, des occurrences de brefs soubresauts sont identifiables aussi avant de poursuivre la correction jusqu’au creux véritable ou de stagner.

Par ailleurs, bien que l’aide pratiquement «infinie» annoncée par la Fed modifie complètement les dynamiques habituelles des marchés obligataires, les titres de revenu fixe gouvernementaux ont bien fait durant la période récente, renforçant ainsi la plus grande partie de vos portefeuilles.

Sans contredit, les trois dernières séances amènent de l’eau au moulin de ceux qui veulent à tout prix qu’un bull market soit en chemin. Tout le monde souhaite que les marchés passent de la panique à l’optimisme. Mais lorsqu’on regarde objectivement les données économiques et le paysage en formation, il s’agit peut-être davantage de la fin du début que du début de la fin pour la crise du coronavirus (et ses conséquences économiques).
Pourrait-on voir une reprise économique lente (U-shaped) en parallèle à une reprise boursière rapide (V-shaped)? À terme, les valeurs boursières doivent finir par refléter plus ou moins fidèlement le réel potentiel économique sous-jacent des entreprises qui les composent.

Au moment d’écrire ces lignes, le marché des Futures indiquait une baisse des marchés boursiers pour l’ouverture de demain matin. Mais rien n’est certain avec une telle dynamique de marché, nous devrons attendre de voir.
Quoi qu’il en soit, nous ne ménageons pas les efforts pour suivre tous les développements et adapter notre stratégie d’investissement au contexte à mesure qu’il change.

À demain pour la dernière séance d’une autre semaine hors de l’ordinaire.

Votre équipe