Le FOMO bat son plein

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Vous connaissez l’expression FOMO? C’est l’acronyme de l’anglais Fear Of Missing Out, cette peur constante de manquer quelque chose. L’exemple le plus moderne est la dépendance à nos pages Facebook, Instagram, Twitter et autres ou le réflexe de vérifier nos courriels et nos textos constamment pour ne pas risquer de passer à côté d’une nouvelle importante. Le FOMO explique aussi en partie le fait de toujours entreprendre trop de projets pour être certain que toutes les idées qui nous passent par la tête ne soient pas perdues.

Les marchés financiers et le FOMO

L’histoire du monde financier est parsemée de bulles spéculatives qui, même si elles devenaient tellement apparentes à un certain moment, continuaient allègrement de croître avant d’éclater. Le FOMO y a joué un immense rôle. «Oui, le prix de cet actif est beaucoup trop élevé mais si je peux le revendre substantiellement plus cher dans un mois, pourquoi ne pas en profiter?», se disaient les participants à la hausse irrationnelle. Mais, à chaque fois, ce qui devait arriver arriva: une bulle termine son parcours par un éclatement douloureux.

D’ailleurs, si on vous disait au départ d’une hausse qu’il s’agira bel et bien d’une bulle, seriez-vous plus tentés de rester sur les lignes de touche pour ne pas risquer d’investir au mauvais moment, ou voudriez-vous quand même embarquer «au moins un certain temps» dans le processus pour faire fructifier un investissement en étant confiant de vous retirer avant le revirement? La réponse à cette question en dit long sur le degré de FOMO qui sommeille en chacun de nous.

À titre de rappel, voici quelques-unes des plus célèbres bulles économiques pour démontrer à quel point le FOMO peut manquer de gros bon sens:

Bulle des tulipes : Nous sommes au XVIIe siècle au Pays-Bas, où la culture des bulbes de tulipes fait partie des principaux fleurons économiques du pays. Autour de cette fleur se développe un marché à terme, c’est-à-dire l’achat anticipé de bulbes pour livraison ultérieure, ce qui est en quelque sorte l’ancêtre des produits financiers appelés Futures tels qu’on les connait aujourd’hui. Au plus fort de la spéculation, un simple bulbe de tulipe valait l’équivalent de 10 ans de salaire pour le travailleur moyen, soit plus qu’une maison. Le FOMO coûtait plutôt cher par pétale. En 1637, la bulle éclata comme il se doit et la réalité reprit le dessus, non sans douleur économique pour le pays.

Bulle immobilière au Japon : Nous y avons fait allusion dans une lettre précédente (L’alphabet de la reprise) en mentionnant la spéculation immobilière qui eut lieu au Japon au début des années 90. Au sommet de la bulle, les jardins du Palais Impérial valaient davantage que l’entièreté du domaine foncier du Canada ou de la Californie. Dire que cette bulle spéculative a frappé l’économie japonaise serait un euphémisme. La chute des cours boursiers qui a accompagné la correction immobilière n’est toujours pas récupérée, et ce, 30 ans plus tard.

Bulle technologique : Au tournant des années 2000, nous étions selon plusieurs analystes dans un «nouveau paradigme» où les technologies et les entreprises qui les développaient amèneraient pratiquement la fin des cycles économiques et une formidable croissance à perte de vue. S’il est vrai que les technologies ont transformé durablement la structure économique de nos sociétés, il n’en demeure pas moins qu’un fort degré de spéculation et de FOMO entrèrent en ligne de compte et que des entreprises qui n’avaient jamais été rentables se vendaient à des prix mirobolants. Par exemple, Global Crossing, dont la capitalisation boursière dépassait les 60 milliards, n’avait encore jamais fait un dollar de profit. L’éclatement de la bulle technologique, aussi appelée la bulle Internet ou la bulle dot.com, a effacé les gains des six années précédentes. Plusieurs entreprises vedettes ont aussi fait faillite, dont Global Crossing…

Bulle des subprimes : La grande récession de 2008-2009, causée par une crise financière et de crédit majeure, tire une grande partie de ses origines dans une spéculation immobilière particulière. L’hypothèse erronée du moment était qu’une maison ne pouvait que prendre de la valeur. Les banques américaines se sont alors mises à émettre des hypothèques à des ménages dits à haut risque, ce qu’on appelle la catégorie subprime. Si l’hypothèse avait été bonne, il est vrai qu’on pouvait prêter à n’importe qui pour l’achat d’une maison puisqu’un défaut de paiement permettrait de reprendre la maison pour la revendre à un prix plus élevé que le solde de l’hypothèque en défaut. On consentait des prêts à des ménages qui n’avaient aucun moyen de les rembourser, soit les ménages NINJA (acronyme de No Income, No Job, No Assets). Mais, encore une fois, la réalité reprit son cours et l’effondrement des subprimes a causé une importante récession mondiale dont on se souvient encore.

Bulle technologique #2? Il est certes trop tôt pour statuer sur la direction finale que prendront les marchés boursiers ces prochaines semaines. Oui, certaines régions du monde semblent se sortir du pétrin et tentent de redémarrer lentement des activités plus normales. Oui, l’aide gouvernementale est absolument sans précédent dans une volonté de réduire au maximum les conséquences économiques de la COVID19. Mais les nouvelles économiques demeurent aussi sans précédent en termes de contraction et nous ne savons pas encore comment les déconfinements se passeront. Une deuxième vague de coronavirus causerait des dommages encore plus grands, on le craint. Dans ce contexte, le fait que les principales places boursières rejoignent aussi rapidement des sommets en termes de ratios cours-bénéfices a de quoi inquiéter. Il est actuellement évident que les investisseurs ne veulent pas manquer une éventuelle reprise et qu’une forme de FOMO bat son plein. C’est particulièrement le cas dans le secteur technologique avec des entreprises comme Zoom ou Shopify dont les cours boursiers sont de plusieurs centaines de fois les bénéfices annuels escomptés. Il faut effectivement penser à long terme sur les marchés boursiers, mais quand on parle de ratios cours-bénéfices à trois chiffres, il faut plusieurs générations pour rentabiliser l’investissement (ou une bulle spéculative pour espérer revendre encore plus cher éventuellement).

Les médias et le FOMO financier

En tant que professionnels de la finance, nous suivons de très près les développements de marchés et les nouvelles aptes à transformer structurellement l’économie. FOMO mis à part, il est naturellement sain de ne pas vouloir manquer une nouvelle qui pourrait toucher le patrimoine de nos clients, dans un sens comme dans l’autre.

Cela dit, les médias financiers modernes, pour la plupart des services de nouvelles en continu, nourrissent directement ce FOMO de l’investissement avec des descriptions à la minute des marchés financiers. On dirait pratiquement la narration d’une course de chevaux ou un encan à la criée. Au moment d’écrire cette lettre d’ailleurs, l’animateur d’une chaine bien connues vient de terminer son entrevue en disant à peu près que les actions avaient repris quelques centièmes de 1 pourcent depuis le début de l’entretien de quelques minutes (en gros, ça n’avait pas bougé mais il fallait bien une nouvelle quelque part, c’est du continu).

Ces mêmes médias appartenant pour la plupart à de grands conglomérats cotés en bourse, on pourrait presque y voir un certain conflit d’intérêt dans la couverture des marchés. Autrement dit, ils ont directement intérêt à ce que les marchés montent. Ce qui nous vaut la contradiction suivante : quand les marchés baissent, vous les entendrez dire qu’il faut penser à long terme et demeurer investis puisque dans le long terme ça devrait remonter, et quand les marchés montent on a droit à une description de chaque centième de pourcentage de gain, comme si le long terme était soudainement moins important que le gain immédiat.

FOMO vs FOBO

L’autre côté de la médaille FOMO se trouve le FOBO, de l’anglais Fear of a Better Option. Le FOBO peut avoir comme conséquence de paralyser les décideurs qui ont peur de ne pas prendre la bonne décision, et il en découle que rien ne se passe jamais. Ce n’est pas mieux. Il faut donc un juste équilibre en le FOMO et le FOBO : une bonne dose de proactivité mais en choisissant bien ses projets ou décisions.

Un calme plus normal reviendra sur les marchés éventuellement et on pourra parler de cette crise au passé. D’ici là, ne rien allouer du tout aux marchés boursiers dans l’incertitude actuelle réduirait la diversification, concept primordial en investissement. Y investir normalement comme si tout était réglé manquerait cependant de prudence à la venue de chiffres économiques qui marqueront l’histoire durant le deuxième trimestre (avril-mai-juin).

Il est tout à fait normal de viser de bonnes performances sur ses investissements et de vouloir que la bourse se porte au mieux. Nous sommes tous exposés à ses rendements, que ce soit par des investissements directs, des fonds communs de placement, ou encore des régimes publics comme la Régie des rentes du Québec qui est active sur les marchés boursiers par la Caisse de dépôt.

Il faut donc trouver un juste équilibre entre la gestion des risques et la poursuite du rendement, sans tomber ni dans la crainte que ça ne redémarre jamais, ni dans la peur de manquer la reprise. Préserver le capital d’abord, et le faire croître ensuite, c’est ce qui demeure notre objectif en ces temps d’incertitude exceptionnels et de FOMO boursier.

Prenez soin des vôtres et profitez bien du soleil qui se pointe (FOMO de météo)!

Votre équipe