Cette note prendra une pause de statistiques économiques sur l’emploi, les revenus, la croissance ou la confiance des consommateurs et des entreprises. Pour résumer le tout, ces mesures demeurent toutes en territoire négatif et souvent à des niveaux records à la baisse depuis les débuts de la cueillette de ces données. Ce sera (c’est déjà) un dur moment à passer, mais il passera. C’est pourquoi nous nous tournerons davantage vers d’autres aspects de cette crise sanitaire et économique, soit la suite des choses.
Une économie (comme) de guerre?
Cette fois il ne s’agit pas d’un cycle économique normal avec ses phases de ralentissement et, éventuellement, de contraction. Bien que certains signes avant-coureurs se pointaient déjà à l’effet que l’économie allait devoir corriger ses excès, l’épisode présent en est un d’arrêt imposé des activités économiques non essentielles à la société et ce, pour une période encore indéterminée (les optimismes varient beaucoup sur ce plan). Ces conditions où le gouvernement décide des secteurs qui seront ouverts, suspend les règles habituelles du commerce et redirige la capacité de production vers les biens nécessaires à «l’effort de guerre» sont à toutes fins pratiques similaires à ce qu’on voit en temps de véritable guerre conventionnelle. Heureusement pour nous, le confinement à la maison demeure tout de même de loin préférable à l’enrôlement militaire obligatoire.
Cette réorientation de toute la société vers un objectif commun (vaincre le coronavirus) apportera inévitablement avec elle certains nouveaux réflexes et façons de faire, voire une modification du collectif tel que perçu par des citoyens qui ont pendant longtemps pu vaquer à leurs propres affaires sans autre préoccupation.
Le monde post-COVID
À plusieurs égards, il est encore bien trop tôt pour déterminer précisément quels seront les effets durables de la période actuelle sur nos modes de vie, sur les structures industrielles ou sur les politiques publiques. Par conséquent on ne sait pas non plus de quoi aura l’air un semblant de retour à la «normale» sur le plan de l’activité économique, mais il est possible de conjecturer sur certains plans :
• Sécurité publique et protection des données personnelles
Les gouvernements de partout dans le monde ont constaté (ou plutôt confirmé) l’immense utilité en temps de crise sanitaire de pouvoir amasser et analyser des données massives sur les déplacements et les habitudes de leur population. La surveillance numérique et physique a été augmentée partout. Le Canada n’a pas eu la main aussi lourde qu’en Chine ou en Israël, mais la tendance pour les années à venir sera probablement à une plus grande collecte de données sur les populations. Dans ce contexte, la cybersécurité et les systèmes de protection de données seront cruciaux afin d’éviter les dérives et les fraudes (incluant la protection de vos données chez nous, ce sur quoi nous travaillons très assidûment). Les capacités de communications aussi, déjà identifiées comme stratégiques et d’importance nationale, prennent tout leur sens non seulement pour la collecte des données mais aussi pour la dissémination à tous d’informations qui peuvent accélérer la victoire contre un virus, par exemple.
• Mondialisation vs localisation
S’il est sans doute exagéré de parler de la fin de la mondialisation, les présents remous ont toutefois bien démontré que les nations prennent d’abord soin d’elles-mêmes en temps de difficulté et que la collaboration multilatérale et la solidarité internationale sont davantage des nice-to-have que des priorités pour des pays en crise. Les chaines de production dépendantes d’échanges internationaux seront sans doute les premières touchées dans une réorganisation de la structure industrielle de bien des pays. L’exemple le plus direct et le plus proche de notre réalité a été fourni par le gouvernement du Québec qui, comme à bien d’autres endroits dans le monde, réfléchit à la meilleure façon de devenir rapidement auto-suffisant en matériel médical et en sécurité alimentaire. Certaines interdictions d’exporter des masques (USA) ou des denrées alimentaires (Asie, Russie, Afrique, etc.) ont déjà été imposées et illustrent parfaitement que les nations pensent d’abord à leur propre sécurité.
• Les super-puissances
Sur le plan global, est-ce que la Chine aura renforcé comme elle le souhaite son rôle de leader mondial au sortir de cette crise? Certains la perçoivent comme première responsable de la situation, avec des mesures sanitaires de base à revoir dans ses marchés publics. D’autres voient en elle une collaboratrice qui peut venir en aide au monde entier avec sa capacité de production industrielle inégalée. Quant aux USA, menés par Donald Trump au moins jusqu’au prochain rendez-vous électoral de novembre, seront-ils toujours aussi crédibles et forts alors que tous les pronostics indiquent que le coronavirus y fera ses pires dommages? La réponse tardive des autorités politiques américaines sur le plan sanitaire y est certainement pour quelque chose. Pourrait-on par ailleurs y voir les débuts d’une révolution sur le plan d’un système de santé trop commercial qui exclut actuellement des dizaines de millions de personnes trop pauvres au pire moment imaginable? Les lobbys seront forts pour maintenir un système privé à but lucratif, mais les crises accélèrent souvent la volonté politique de faire la bonne chose pour la collectivité.
• Habitudes de consommation et demande intérieure
Les consommateurs sont de loin le premier moteur de toute économie, incluant la nôtre. De leurs prédispositions à travailler, dépenser et investir dépendent la santé des commerces et les entrées fiscales du gouvernement, entre autres. Le coronavirus change drastiquement notre façon de consommer et d’établir nos priorités budgétaires. Certains de ces changements pour le moment temporaires pourraient très bien devenir plus permanents à mesure que des ménages surendettés réalisent qu’ils peuvent vivre sans plusieurs biens et services qu’ils se permettaient à crédit (surtout si le marché du travail ne reprend pas aussi rapidement et durablement qu’on l’espère). Tout ce qui tombe dans la catégorie de consommation «non essentielle» est déjà en révision. Le nombre de familles dont le logement et l’alimentation sont devenus les principales préoccupations est substantiel même dans les pays les plus riches. Cette dynamique transformera vraisemblablement une partie des consommateurs que nous sommes.
• Organisation urbaine et sociale
Avant la pandémie du coronavirus, des considérations de lutte aux changements climatiques et de protection de l’environnement ont amené une vision du développement qui serait basée le plus possible sur la densification de la population en milieu urbain ou semi-urbain plutôt que sur l’étalement du territoire résidentiel. La nouvelle donne fait réaliser les risques sanitaires de concentrer trop intensément les populations et les avantages d’avoir une distanciation minimale. Est-ce que la lutte aux changements climatiques sera l’une des victimes du coronavirus? Le plus probable est que les efforts se poursuivront mais vraisemblablement accompagnés de nouvelles mesures de réduction des impacts en cas de pandémie renouvelée. Qui plus est, l’accaparement de terres agricoles à des fins résidentielles n’est pas très porteur sur le plan de l’autonomie alimentaire (voir point suivant). La réorganisation du travail et la forte utilisation du télétravail, rendu nécessaire et généralisé, pourraient perdurer dans nombre de secteurs, bouleversant ainsi plusieurs dynamiques dans l’immobilier commercial, en plus de modifier les interactions entre citoyens qui communiqueront davantage par des moyens technologiques que par des rencontres en personne.
• Les nationalismes
Les gouvernements du monde entier ont été forcés de mettre de l’avant la protection des intérêts nationaux et ont ainsi vu ressortir les faiblesses de leurs structures en place. Que l’on parle d’autonomie en termes de matériel médical et sanitaire (masques, gants, produits désinfectants, machinerie et appareils médicaux, etc.) ou d’autonomie sur le plan alimentaire (surtout pour les pays nordiques dont le climat est défavorable à la culture naturelle de fruits et légumes), il y a fort à parier que des programmes et politiques seront mis en place à bien des endroits pour renforcer cette autonomie et ce nationalisme économique. Cette dynamique ne tuera pas le commerce international mais elle le ralentira à tout le moins dans certains secteurs précis mentionnés précédemment. Les multinationales pourraient avoir à reconsidérer leur modèle de production et le offshoring ne se retrouvera plus systématiquement en tête de liste, à la faveur d’installations plus locales, surtout si les pouvoirs politiques incitent en ce sens. Il restera aussi à voir comment cette crise transformera les mouvements de population et les programmes d’immigration alors même que le nombre de personnes déplacées de force dans le monde se compte en dizaines de millions.
• Santé fiscale et dynamisme économique
Il peut être rassurant de voir l’ampleur de l’aide gouvernementale consentie partout dans le monde visant à amenuiser les effets négatifs de la COVID19 sur les économies nationales. L’autre côté de cette médaille toutefois, c’est qu’il faudra que quelqu’un rembourse les milliers de milliards de dollars en dette publique qui sont créés au gré des programmes spéciaux mis en place. Une population dont les impôts devront fort probablement augmenter pour rembourser cette gigantesque dette publique voit son revenu disponible être amputé pour tous les autres types de dépenses. L’alternative aux hausses d’impôts serait de couper substantiellement dans les programmes sociaux pour réduire les dépenses et rembourser la dette. Mais dans cas aussi, comme le panier de services publics actuels coûterait beaucoup plus cher au privé, la population verrait son revenu disponible diminuer si elle voulait conserver le même niveau de services. Dans tous les cas, plus les finances publiques se dégradent par un endettement de secours, plus le dynamisme économique général en pâtit directement ou indirectement.
• Le retour de l’inflation?
Il est un phénomène que plusieurs d’entre nous n’avons pas beaucoup vu de notre vivant, et c’est celui d’une inflation problématique. La mondialisation a contribué à pousser vers le bas le prix de plusieurs intrants et donc des produits finaux. Les banques centrales ont aussi fait un excellent travail depuis plusieurs années de conserver l’inflation à l’intérieur des fourchettes visées. Le fait d’imprimer actuellement tout cet argent pour des interventions de secours à l’économie est bien intentionné mais les conséquences à terme produiront vraisemblablement une augmentation des prix en général. À titre de rappel, l’inflation apporte avec elle des enjeux nombreux : diminution de la demande et de la confiance des consommateurs, réduction de la valeur des épargnes avec le simple passage du temps, report d’investissements en capital, distorsions dans l’allocation de plusieurs ressources, etc. Bref, l’inflation est une amie dont les économies se passeraient volontiers.
• L’utilité du Léviathan
Il existe plusieurs idéologies politiques et économiques qui vont de la gauche à la droite, mais s’il est une chose que la pandémie a fait ressortir c’est que l’État demeure la solution de dernier recours. Même les tenants du marché libre à tout prix et de la diminution de la taille de l’État sont souvent les premiers à réclamer son aide quand tout bascule. Cette crise amènera peut-être une dose d’humilité et de cohérence dans les discours. L’enjeu sera de voir si certains gouvernements ne profiteront pas des pouvoirs accrus pour l’occasion (surveillance et imposition de mesures de contrôle) pour instaurer ou renforcer des régimes autoritaires. Il est toujours plus facile d’imposer de tels changements quand la situation l’exige et que la population est plus encline à délaisser certaines libertés au nom de l’intérêt collectif (la référence au Léviathan pour les fans de Hobbes). Il y a une alternative à un gouvernement omnipotent qui surveille et contrôle tout, et c’est d’équiper la population avec de l’information utile et accessible. Les citoyens sont alors capables de faire face à la crise de leur propre chef en sachant que c’est ce qu’il faut faire pour leur bien-être et celui de la collectivité. Nous sommes chanceux de bénéficier de cette option de notre côté du monde.
Quoi qu’il en soit, nous arriverons à cet après-COVID éventuellement et les bilans et leçons seront nombreux. Plusieurs signaux indiquent que les nouvelles économiques à venir seront difficiles à digérer, alors que d’autres offrent un semblant de lumière au bout du tunnel (en espérant que ce ne soit pas un train qui fonce à toute vitesse vers nous).
À la base de cette crise, la victoire contre le coronavirus demeure l’élément clef d’une reprise tant souhaitée. Malgré qu’on ait vu ça et là des exemples de citoyens qui ne respectaient pas les consignes de la Santé publique, les gens sont en général disciplinés et résilients. We’ll get through this, comme disent nos voisins. Il nous fera alors grand plaisir de vous revoir enfin en personne – ou à continuer à le faire par appel vidéo si vous faites partie de ceux qui auront été transformés par les événements!
Bonne continuation et prenez soin de vous!
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