Quand tout a commencé en début d’année, les économistes débattaient à savoir s’il y aurait ou non une récession causée par le coronavirus et ses implications sanitaires et économiques. C’est maintenant chose réglée, nous y sommes. Le débat s’est maintenant déplacé à savoir de quel type de récession il s’agira: brève et peu douloureuse, persistante et profonde, ou quelque chose entre les deux.
Pour illustrer sommairement les types de récessions, les économistes ont pris l’habitude de les qualifier par une lettre, les plus usuelles étant le V, le U, le W et le L. Voyons de quoi il s’agit.
• Récession en V
Ce type de récession est caractérisé par une chute rapide du PIB vers un creux clairement identifiable, suivi d’une reprise assez rapide, d’où la forme en V sur un graphique. La durée minimale en est toutefois de 6 mois puisque, techniquement, une récession signifie deux trimestres consécutifs de contraction. S’il devait s’agir d’une telle récession, nous pourrions nous attendre à un retour à une économie plus comparable à l’avant-COVID19 vers l’automne ou la fin de cette année.
• Récession en U
Comme sa forme le laisse présager, la récession en U dure plus longtemps autour d’un creux moins clairement identifiable, avec une reprise qui peut prendre plusieurs trimestres à se matérialiser. On pourrait dans ce scénario s’attendre à une économie qui ne retrouve son erre d’aller que plus tard en 2021, voire en 2022.
• Récession en W
S’il devait d’abord y avoir une reprise apparemment rapide de l’économie en V, mais que des événements comme une seconde vague du coronavirus la fasse chanceler à nouveau, on parlerait d’une reprise en W. C’est un scénario plutôt indésirable qui aurait pour conséquence d’ébranler la confiance en général de la population et de renforcer la peur reliée au virus, peur qui a déjà fait des dommages considérables. Un exemple récent d’une récession en W est celui de l’Europe il y a une dizaine d’années. À la suite de la crise financière de 2008-2009 qui avait causé une première récession, un cocktail de mesures d’austérité jumelées à une faible demande intérieure avait fait retomber plusieurs économies nationales en contraction quelques trimestres plus tard.
• Récession en L
Le scénario le plus sévère sur le plan économique serait une récession/reprise en forme de L, signifiant une chute rapide de l’activité économique suivie d’une période de stagnation prolongée qui maintiendrait l’économie dans un fonctionnement ralenti pendant des années. La Grande Dépression des années 30 en demeure le symbole historique le plus tristement célèbre, mais plus près de nous le Japon a connu une telle dépression dans la foulée de l’éclatement de sa bulle immobilière au début des années 90. Rappelons qu’à l’époque, au sommet de cette bulle insensée avec le recul, le domaine foncier du seul Palais Impérial valait davantage que l’entièreté du domaine foncier canadien! La correction drastique qui s’ensuivit dure encore d’ailleurs. L’indice boursier de référence au Japon, le Nikkei, a lui aussi souffert d’une chute qui à ce jour n’est toujours pas corrigée. À titre de rappel, le Nikkei se situe encore actuellement à environ 50% de ce qu’il valait il y a 30 ans…
• Récession en J
Moins souvent mentionné comme possible scénario, surtout dans le contexte actuel, un retour en J signifierait une chute suivie d’une forte reprise vers des niveaux encore plus élevés qu’avant la contraction de l’économie. Cette reprise pourrait être amenée par exemple par une innovation technologique majeure ou par des annonces surprises de revenus croissants soutenus. Pour être réaliste, disons que nous ne devrions pas retenir notre souffle pour cette dernière possibilité.
• Et si c’était plutôt un cycle en M?
Quand on y réfléchit, toutes les lettres précédentes font en quelque sorte l’hypothèse que le point de départ avant la contraction était un marché «normal», auquel il serait aussi normal de revenir une fois la crise passée. Mais si le point de départ était un marché surévalué insoutenable? On sait que le marché boursier était considéré comme très cher avant même la crise du coronavirus et la chute boursière qu’elle a entraînée. Nous pourrions donc ainsi assister à un phénomène où une correction boursière pertinente est suivie d’une remontée irrationnelle vers des niveaux à nouveau trop élevés, pour ensuite revenir à un niveau plus en lien avec l’économie réelle. On pourrait alors utiliser la lettre M pour illustrer le cycle au complet, en partant de la dernière récession jusqu’à la fin de la présente crise: bull market trop fort (première patte du M), correction puis remontée irrationnelle (le V au milieu) et correction finale vers un niveau raisonnable (la dernière patte du M).
Élargir les possibilités
Étant donné le comportement parfois erratique des marchés et des indicateurs économiques, il se trouve des analystes suggérant d’ajouter des lettres autres que romaines à l’inventaire des possibles formes de contractions/reprises. La lettre arabe sīn est incluse à l’image ci-dessous et pourrait être la plus pertinente si l’évolution de l’économie devait se faire en zigzag et que l’incertitude ne quittait pas les marchés pour une période prolongée.
LA SOUPE DU JOUR…
Cela étant, une reprise en V est-elle toujours possible? En fait, seulement si TOUT devait aller pour le mieux, et rapidement. En d’autres termes:
• Si le virus était sous contrôle d’ici peu
• Si une distanciation physique minimale était respectée durant la réouverture progressive
• Si le marché de l’emploi reprenait rapidement
• Si les ménages ne sortaient pas surendettés d’un confinement sans revenus habituels
• Si le marché immobilier tenait le cap (la maison étant le plus important actif d’un ménage)
• Si on voyait une reprise solide et réelle en Chine (pour les intrants) et aux USA (pour la demande)
• Si les exportations redémarraient rondement, etc.
Ça commence quand même à faire beaucoup de «si».
En situant le début de la crise à février, nous estimions alors que les perturbations économiques (et indirectement boursières) dureraient assurément de 3 à 6 mois, donc un éclaircissement potentiel au mieux quelque part entre mai et août. Dans cette optique, le scénario le plus optimiste demeurerait une reprise de l’économie en U et un marché boursier qui, s’il s’envolait trop vite à nouveau, devrait éventuellement se rajuster à une production et des revenus sous-jacents qui ne seraient pas à temps au rendez-vous.
Il est aussi probable que certains secteurs reprennent plus vite que d’autres, on le voit déjà. Les entreprises du secteur de la santé ou des technologies ont beaucoup moins souffert ces dernières semaines que les secteurs de l’énergie ou des institutions financières, par exemple. Les lettres descriptives à attribuer à chacun des secteurs ne sont donc pas toutes les mêmes. La valeur d’avoir accès à de bons gestionnaires actifs spécialisés est ici bien évidente.
Par ailleurs, certaines données font craindre la possibilité d’une reprise en W. D’une part, les généreuses aides gouvernementales actuelles devront logiquement mener à terme à des hausses de taxes ou à des mesures de réduction de dépenses (mesures d’austérité). La deuxième phase du processus en W serait donc partiellement fiscale, ou encore une combinaison virale-fiscale si le virus devait resurgir en même temps. En parallèle, les risques de nombreuses décotes de crédit, voire de faillites d’entreprises, laissent présager des mois difficiles pour 2020 sur le plan de l’économie réelle et du potentiel de reprise durable.
Prendre le bon tournant
L’économie reprendra un cours plus léger en temps et lieu. Le coronavirus sera vaincu par un vaccin en temps et lieu. Les divers secteurs de l’économie s’ajusteront en temps et lieu à tous ces nouveaux consommateurs qui auront connus des mois de confinement et adapté leur façon de dépenser. Et la vie continuera, mieux qu’avant encore il faut l’espérer.
Il ne faut toutefois pas ignorer les risques en se précipitant en direction de ce qu’on espère. Une réouverture mal structurée de l’économie pourrait lancer une deuxième vague d’un virus qui semble vouloir ralentir. Ce serait encore pire pour toutes ces entreprises, petites et grandes, qui sont impatientes de redémarrer pleinement leurs activités. On a beau accélérer pour arriver plus vite à destination, si on prend le mauvais tournant (ou qu’on fait des tonneaux dans la courbe) on n’est guère plus avancé.
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