La Grande Accélération

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En ce vendredi pré-estival ensoleillé, la lettre financière délaissera les chiffres pour adopter un côté plus philosophique (mais rien de trop transcendantal).

Nous sommes tous assez familiers avec les périodes économiques de la Grande Dépression de 1929, de la Grande Guerre de 1914-1918 ou encore de la Grande Récession de 2008. L’épisode que nous vivons actuellement ne sera pas en reste puisqu’on lui a déjà donné le nom de Grand Confinement de 2020. Cependant, en observant les conséquences les plus directes de cette pandémie, on aurait bien pu l’appeler la Grande Accélération.

Des tendances qui se pointaient déjà

À bien y penser, la COVID19 n’a pas vraiment créé de toutes pièces de nouvelles tendances ou façons de faire, mais elle en a plutôt accéléré plusieurs de manière spectaculaire autant sur les marchés financiers, dans l’économie, en politique que sur le plan sociétal en général. En ce sens, elle n’a pas véritablement changé le monde autant qu’elle en a accéléré le parcours plus ou moins déjà tracé.

On peut mentionner parmi ces tendances accélérées :

Le commerce en ligne
Déjà ces dernières années, la progression du commerce en ligne était forte et prenait une part de plus en plus importante dans nos budgets de consommation. Bien que l’on s’attendait à ce que la tendance se poursuive, la pandémie et le confinement l’auront drastiquement accélérée. La croissance phénoménale de ce secteur ces dernières semaines est comparable à celle de plusieurs années en condensé. On prévoit qu’une bonne partie des habitudes prises pendant la pandémie se poursuivra et que le commerce en ligne plus omniprésent est là pour rester.

Le télétravail
Bien que le télétravail quasi-généralisé ait été imposé par les mesures de précaution sanitaires, tous ne reviendront pas à ce qui existait avant la crise. Certaines entreprises réaliseront que la productivité n’en est pas réduite alors que les coûts le sont. Certains travailleurs l’ayant testé réaliseront que c’est ce qu’ils veulent en bout de ligne et en feront un paramètre dans leurs choix de carrière pour une meilleure conciliation famille-travail. Qui plus est, les entreprises ayant déjà investi de façon accélérée dans les infrastructures nécessaires au télétravail avec la pandémie, il sera simple de poursuivre la pratique.

La télémédecine
Comme dans pratiquement tous les domaines, l’accès à des conseils et à des soins de santé avait déjà commencé à prendre le virage technologique avant le confinement. Les patients qui peuvent maintenant avoir des réponses à leurs préoccupations à partir de leur téléphone intelligent ou de leur ordinateur préfèrent de loin cette option à une salle d’urgence bondée. Même les systèmes de santé publics et universels comme celui du Québec devront faire une plus grande place à la télémédecine, que ce soit pour des raisons de coûts, d’efficacité ou de demande de la population. Les salles d’urgence ayant été prises d’assaut partout dans le monde à la suite de l’éclosion du coronavirus, les gouvernements ont bien pris conscience du potentiel de désengorgement de la télémédecine et voudront être prêts pour la prochaine pandémie (qui, malheureusement, viendra un jour).

La démondialisation
Les chaines de production internationales sont devenues la norme dans une importante proportion des économies nationales sur la planète et le commerce entre pays constitue un incontournable. Ces dernières années toutefois, on observait déjà une tendance au rapatriement de certaines activités économiques en sol national, et la pandémie aura fait prendre conscience des risques liés au fait de dépendre de partenaires économiques qui voient d’abord à leurs propres intérêts en période de crise. Un principe général en relations internationales est qu’il n’y a pas vraiment de cadeaux entre les États. L’intérêt national primera toujours. La COVID19 a vite fait de rappeler cette réalité à ceux dont certains produits essentiels étaient produits hors de leurs frontières et il est vraisemblable qu’un certain nationalisme économique reprenne de la force encore plus rapidement un peu partout.

La disparition de l’argent physique
Si la tendance de payer avec du «plastique» se renforçait bon an mal, il restait (et reste) toujours des résistants qui préfèrent le bon vieil argent comptant. La pandémie les a cependant forcés à adopter le paiement électronique puisque ce type de paiement est devenu obligatoire dans une part substantielle des commerces qui sont restés ouverts. De façon générale, la disparition de l’argent physique comporte certains avantages, comme la lutte à la fraude et au blanchiment par une meilleure traçabilité, une réduction du potentiel d’évasion fiscal et de travail au noir, ou encore la sécurité physique accrue par la disparition du transport de billets et de tiroirs caisses attrayants pour les voleurs armés.

La rivalité USA-Chine
Les deux géants économiques mondiaux que sont les USA et la Chine nourrissaient une rivalité bien avant l’arrivée du coronavirus. Globalement, le leadership américain se faisait déjà de moins en moins visible, la coopération internationale ne vivait pas ses meilleurs moments et les grandes puissances ne s’entendaient pas sur les enjeux mondiaux majeurs. Le sentiment de devoir soutenir sa population en priorité en pleine pandémie n’a rien amené de productif en ce sens non plus. Avec un président Trump qui use de toutes les tactiques possibles (économiques, politiques, médiatiques, voire capillaires) pour obtenir un nouveau mandat en novembre, la Chine est vite devenue un adversaire idéal dans son discours. Les relations entre les deux géants s’envenimaient graduellement avant 2020 et les événements récents ont donc exacerbé cette situation sans la créer. Ce que bon nombre de politologues voyaient poindre s’accélère sous la forme d’une grande rivalité américano-chinoise pour le titre de super-puissance numéro un.

L’investissement ESG
Les critères d’investissement dits ESG (pour Environnement, Social, Gouvernance) déjà utilisés par bien des grands fonds institutionnels sur la planète ont montré avec la pandémie qu’ils sont là pour rester, voire s’imposer. Le fait d’apercevoir à nouveau un ciel bleu au-dessus des villes les plus polluées du monde ou de revoir des animaux là où on n’en voyait plus depuis longtemps a bien illustré les impacts négatifs d’un développement économique à tous crins. Les arrêts économiques forcés par la COVID19 auront amené une prise de conscience chez plusieurs citoyens encore sceptiques que l’activité humaine a bel et bien des conséquences directes sur l’environnement. On pourrait croire qu’une crise comme celle-ci reléguera les critères ESG bien loin des priorités, mais il est tout aussi probable que l’inverse se produise et que les gouvernements mettent en place des mesures plus claires et plus contraignantes en lien avec l’environnement, l’impact social et la bonne gouvernance en général.

L’autoritarisme
En début d’année, plusieurs dizaines de pays dans le monde pouvaient être qualifiés de régimes autoritaires ou de dictatures, soit les endroits où la démocratie et les libertés individuelles laissent fortement à désirer ou n’existent tout simplement pas. La présente crise aura permis à ces régimes autoritaires d’accélérer leur agenda en utilisant l’urgence sanitaire pour limiter encore davantage les libertés sans trop d’opprobre dans un confinement généralisé. La tristesse de la chose, c’est que les régimes autoritaires ont contribué à répandre encore plus le virus en refusant de partager des données réelles, par souci de propagande, ou en faisant taire les lanceurs d’alertes. Ce cercle vicieux nous coûte aujourd’hui collectivement bien cher.

Le populisme
Sans tomber nécessairement dans la dictature, le populisme était en hausse dans toutes les régions du monde bien avant la COVID19. Les conséquences de cette dernière ont toutefois accéléré la montée d’arguments simplistes de nature anti-immigration, pro-cynisme, antiprogressiste et autres méthodes visant à polariser les sociétés à des fins électorales. Nul besoin d’aller trop loin pour en trouver d’éloquents exemples. Nos voisins états-uniens ont à leur tête un champion en la matière et le Brésil, géant de l’Amérique latine, n’est pas en reste avec son président tout droit sorti d’une parodie d’un mauvais film. L’insécurité et l’incertitude au sein de la population facilitent la montée de tels leaders. Il n’y a malheureusement pas de vaccin contre ces personnages.

Le gonflement de la (re)bulle technologique
Nous y faisions allusion dans une lettre précédente, les niveaux de prix dans le secteur technologique avaient toutes les allures d’une bulle même avant l’éclosion du virus. Ces entreprises étant celles qui bénéficient le plus du confinement par les services qu’elles offrent, elles ont atteint des sommets sur les places boursières. Si l’on prend les 7 grandes entreprises technologiques que sont Microsoft, Apple, Amazon, Google, Facebook, Netflix et Nvidia, leur capitalisation boursière combinée a allègrement dépassé cette semaine les huit mille milliards de dollars canadiens. Ça vaut la peine de le visualiser en chiffres : 8,000,000,000,000$. C’est environ 20 fois le produit intérieur brut du Québec tout entier. Ces sept entreprises à elles seules, après les USA et la Chine, formeraient la troisième économie mondiale. Une bulle vous dites?

Les inégalités
Certaines tendances apportent avec elles leur lot de bons côtés, de ce fait leur accélération ne pose donc pas nécessairement problème. À l’opposé, la pernicieuse tendance à l’élargissement des inégalités s’est elle aussi malheureusement accélérée depuis le début des bouleversements de cette année :
o Sur le plan individuel, les gens plus fortunés passent logiquement beaucoup mieux à travers une crise comme la COVID19 du fait de leur confort initial et de leur capacité d’encaisser les éventuelles baisses de revenus. Ils ont aussi un accès plus automatique aux nouvelles technologies ou à des services de santé et habitent des territoires mieux desservis par les livraisons et les services toujours actifs.
o Sur le plan des entreprises, il appert évident que les grandes organisations traversent beaucoup mieux la crise que les petites capitalisations boursières et les PME. L’accès des grandes bannières à du nouveau capital est plus facile, quand celles-ci ne sont pas simplement bénéficiaires de la crise et de la transformation du paysage, avec comme meilleurs exemples les sept entreprises mentionnées précédemment.
o Sur le plan des nations, les pays riches avec leurs infrastructures économiques et sanitaires avancées sont en bien meilleure posture pour jongler avec la COVID19 que ne le sont les pays émergents et en voie de développement. Dépister et bien savoir circonscrire les foyers d’éclosion sont à la base de la lutte au coronavirus, ce que nombre de pays plus pauvres n’arrivent pas efficacement à faire, faute de moyens. La coopération internationale que l’on aurait souhaité voir se manifester n’est pas impressionnante, pour revenir aux points précédents sur la démondialisation et les rivalités entre grandes puissances.

Ainsi les conséquences de la pandémie sont-elles nombreuses. Cela étant dit, quand la crise sera derrière nous, on en conclura fort probablement que la COVID19 n’aura pas changé le cours de l’histoire mais qu’elle l’aura plutôt accéléré dans ses tendances les plus lourdes. Sur le plan de l’investissement dans un tel contexte, il va de soi que d’avoir une équipe qui suit de près toutes ces dynamiques dans votre intérêt ne peut être que bénéfique, à court comme à long terme.

Une autre tendance millénaire est d’avoir un été par année. En espérant que la COVID19 n’accélère pas trop celui qui approche afin que le beau temps dure le plus longtemps possible.

Portez-vous bien et bon soleil!

Votre équipe