Ils arrivent, les résultats financiers

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C’est demain mardi que les grandes banques ouvriront ce que l’industrie appelle la saison des résultats financiers (earning season). Si tous les analystes s’attendent à des résultats fortement amochés par la crise du coronavirus pour le premier trimestre de 2020, il est permis de se demander si les véritables conséquences d’une économie en pause ne seront pas encore plus marquantes au deuxième trimestre.

La performance positive des places boursières de la semaine dernière a pu faire oublier une réalité pourtant simple: le confinement de la moitié de l’humanité cause évidemment une chute drastique dans les niveaux de consommation, principal moteur de l’économie.

Les programmes gouvernementaux qui visent à venir en aide aux millions de personnes qui ont perdu leur emploi compensent pour certains besoins vitaux, mais il n’en demeure pas moins que la confiance des consommateurs et des entreprises est à un creux historique et que personne ne sait quel sera l’impact final de cet arrêt économique imposé par souci sanitaire.

La forêt cachée par l’arbre

Il fait du bien à tout investisseur de voir la bourse regagner une partie du terrain perdu depuis le sommet de la mi-février. Cependant, tant que durera l’incertitude reliée à la COVID19 et tant que la volatilité affichera un tel niveau, il sera prudent de garder le tout en perspective et de ne pas s’en remettre à des résultats hebdomadaires. C’est la tendance et les résultats de long terme qui doivent primer. Les deux graphiques suivants illustrent bien le fait que:

• Malgré quelques rebonds significatifs ces derniers temps, les principaux indices boursiers demeurent bien en-deçà de leur sommet historique (graphique 1). Un portefeuille défensif depuis le début de l’année aura donc beaucoup mieux traversé cette période de turbulence, même en incluant les rebonds.

• La volatilité, bien qu’elle ait diminué dernièrement selon l’indice VIX, se situe toujours au double, voire au triple de son niveau habituel en période plus normale (graphique 2). Les variations quotidiennes poursuivent d’ailleurs leur manie d’être intenses en valeur absolue. Elle n’est pas loin l’époque où une variation de plus de 1% de la bourse en un jour faisait la manchette, alors qu’on se demande maintenant dans quelle direction le 2% ou 3% du jour s’inscrira.

Graphique 1: Indice S&P500 depuis le début de l’année 2020

Graphique 2: Mesure de volatilité (VIX) sur les 12 derniers mois

C’est donc toujours en période très trouble que l’on se situe, et se dire que tout est reparti pour la gloire pour de bon semble à tout le moins risqué, surtout à l’approche de nouvelles économiques qui auront réellement intégré les premiers effets de la présente crise sanitaire.

Mais d’où venait le sommet?

Est-il normal que des indices boursiers fassent beaucoup mieux que leur économie sous-jacente de façon soutenue, quand les compagnies qui composent ces indices font partie intrinsèque de l’économie? Par exemple, depuis 1985, la croissance du PIB aux USA n’a jamais dépassé les 5% (0 fois en 35 ans). Comment alors expliquer que les principales bourses américaines aient allégrement dépassé ce seuil (22 fois en 35 ans) et aient même affiché régulièrement des rendements de plus de 10% (19 fois en 35 ans), de plus de 20% (11 fois en 35 ans) et de plus de 30% (2 fois en 35 ans)?

La bourse ne représente pas l’entièreté d’une économie, soit, mais il semble y avoir une déconnexion claire entre la performance d’une économie et la performance de sa bourse. Un Prix Nobel a d’ailleurs été décerné à Robert Shiller qui a amplement traité de cette exubérance irrationnelle des investisseurs. L’histoire boursière moderne regorge de bulles spéculatives qui se terminent en effondrement d’indices trop gonflés. Les émotions prennent souvent le dessus dans les décisions d’achat ou de vente en bourse. Ces dernières années, on peut aisément dire que l’optimisme était immodéré, même s’il ne pouvait se baser sur aucune donnée probante sur le plan purement économique.

Nous en parlions dans une lettre précédente, l’un des facteurs techniques les plus importants dans la montée boursière de la dernière décennie a été le rachat massif de leurs propres actions par les grandes corporations cotées en bourse. Le même phénomène n’est pas à l’ordre du jour des prochains mois puisque les gouvernements ont pratiquement fermé cette porte aux entreprises qui voudront de leur aide.

De l’argent gouvernemental «à l’infini»?

L’utilisation du terme «infini» n’est pas de nous, mais plutôt des autorités américaines. La volonté ferme d’éviter une crise du crédit comme en 2008-2009 a fait en sorte que les valves sont grandes ouvertes et que les programmes d’aide fiscale et monétaire sont conçus rapidement et – apparemment – sans compter.

L’ampleur des déficits publics à venir sera par conséquent sans précédent, avec des milliers de milliards de dollars déjà injectés ou promis. L’admissibilité aux divers programmes semble modifiée à mesure qu’un secteur ou une industrie plie du genou. On veut ainsi éviter l’effet domino d’un secteur qui entrainerait les autres dans son sillon dans une économie si interreliée. Avec pour résultat que le déficit budgétaire des USA, pays le plus riche au monde, dépassera les 5,000 milliards CAD pour cette année. Quant à elle, la dette publique américaine devrait dépasser les 25,000 milliards CAD, soit plus de 100% du PIB du pays. De quoi relativiser le taux d’endettement du Québec, qui se situe d’ailleurs sous la moyenne des pays du G7, quoi qu’on en dise.

Nous surveillerons pour vous…

• L’évolution de la COVID19 : Bien sûr, le virus demeure la cause première de l’arrêt technique de l’économie mondiale. La tentation actuelle de certains gouvernements de redémarrer les choses graduellement peut donner espoir, mais cela augmente toutefois le risque d’une deuxième vague à l’automne si le virus n’est pas correctement éliminé.

• Les résultats financiers du premier trimestre: Les investisseurs et analystes porteront une attention toute particulière à la rentabilité des géants industriels et par conséquent à la solidité de la chaine d’approvisionnement. N’oublions pas ici que même suite à la dégringolade boursière qui a intégré une partie des mauvaises nouvelles à venir, les entreprises cotées en bourses se transigent toujours à un multiple élevé par rapport à leurs revenus escomptés.

• La confiance et la demande des consommateurs: Personne ne sait quelle sera l’ampleur précise du recul dans la demande globale, ni quel sera au final l’impact du télétravail sur la consommation agrégée. Des pans de l’économie auront beau être rouverts, il faudra que la population retrouve confiance en son pouvoir d’achat avant d’espérer retrouver le rythme de croisière pré-COVID19, si cela est possible. Le nombre de nouveaux chantiers résidentiels déterminera aussi dans une certaine mesure si la confiance est de retour ou toujours sur pause.

• Les taux d’intérêt: À mesure que les programmes d’aide gouvernementaux seront retirés (éventuellement), il sera important de suivre l’évolution des taux d’intérêt qui reflètent entre autres la lecture gouvernementale de l’environnement économique et la relative valeur des instruments de revenu fixe face aux autres classes d’actifs. Avec des taux négatifs établis en Asie et en Europe et lorgnant l’Amérique, la situation est loin d’être normale. Nous couvrirons d’ailleurs la signification de taux d’intérêt négatifs dans une prochaine lettre.

Dans toute cette période troublante pour plusieurs raisons, nous espérons d’abord et avant tout que vos familles se portent bien et que la santé soit au rendez-vous.

Bon retour de congé pascal à tous et bonne earning season qui s’amorce,

Votre équipe