Avez-vous dit un prix du pétrole négatif?

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Notre lettre précédente faisait état de taux d’intérêt négatifs bien surprenants. Il semble qu’une autre classe d’actif ait voulu faire parler d’elle pour des raisons similaires.

Il est difficile de ne pas avoir vu passer la nouvelle des prix négatifs sur le baril de pétrole ces dernières heures. Sans vouloir vous décevoir, le jour où les Esso, Pétro-Canada et autres Sonic vous paieront pour remplir votre réservoir d’essence n’est pas exactement à nos portes. Mais avec cette autre première historique, décidément, 2020 ne sera pas oubliée de sitôt.

Retour sur les événements

Combinez deux crises qui, prises chacune isolément, auraient pu fortement déstabiliser le monde pétrolier et vous obtenez le gros lot. D’une part, la pandémie du coronavirus et les arrêts forcés des économies nationales ont fait fondre la demande globale pour le pétrole, ce qui a une influence négative sur le prix. D’autre part, la Russie et l’Arabie Saoudite se sont entêtées à se livrer une guerre de surproduction qui a aussi eu comme conséquence directe de tirer les prix vers le bas. La situation se résume donc ainsi: une offre qui a explosé face à une demande qui a disparu.

Mais pourquoi payer pour vendre du pétrole? Outre le déséquilibre drastique entre l’offre et la demande, un problème d’entreposage est apparu en parallèle alors qu’on a commencé à manquer d’espaces habituels pour stocker la volumineuse surproduction. La décision économique d’accepter un prix négatif va de soi pour un producteur quand l’alternative de fermer temporairement ses activités de production serait encore plus coûteuse à terme.

Bien que l’élément central à toute cette saga pétrolière réside dans l’absence d’avions dans le ciel et de voitures sur les autoroutes, il y a aussi comme toujours sur les marchés des facteurs purement techniques en jeu.

Les Energy Traders, qui sont très actifs sur les produits dérivés financiers liés au pétrole, ne souhaitent souvent que spéculer sur la direction du marché (certains transigent aussi à des fins de couverture d’activités concrètes dans le secteur de l’énergie). Devant une chute soudaine du prix d’un sous-jacent comme le baril pétrole, ils se retrouvent à devoir choisir entre se débarrasser à perte du sous-jacent ou –moins simple– prendre livraison physique dudit pétrole et trouver un endroit pour le conserver. Dans le contexte de demande évaporée et d’entreposage de plus en plus difficile, le choix de payer quelqu’un pour s’en débarrasser est rationnel. Disons que les mots de l’industrie associés aux types de pétrole comme sweet, light ou blend, qui donnent presque faim, ont une consonance moins poétique en ce moment pour les producteurs.

Inélasticité artificielle

Les sciences économiques peuvent être qualifiées de sciences «molles» en ce qu’elles étudient des phénomènes difficilement quantifiables chez des êtres humains parfois moins que rationnels. L’économie n’est-elle pas d’ailleurs le seul domaine dit scientifique où deux personnes qui prétendent l’inverse l’une de l’autre peuvent quand même avoir chacun leur Prix Nobel?

Il est toutefois une loi fondamentale de l’économie qui demeure plus souvent qu’autrement : la loi de l’offre et de la demande. Si la demande pour un bien est plus forte (faible), le prix aura tendance à augmenter (diminuer). De la même façon, si le prix d’un bien diminue (augmente) la demande aura tendance à être plus forte (faible). Le degré de variation de la demande sera relié à ce qu’on appelle l’élasticité. Plus la demande est élastique, plus une variation du prix à la hausse ou à la baisse fera facilement bouger la demande.

Or, en ce moment, la mise en pause artificielle de l’économie fait que la demande demeure inexistante. Les stocks de pétrole, quels qu’en soient les prix, s’accumulent au lieu de s’écouler dans l’économie. Et la situation pourrait perdurer, le temps que l’on puisse constater des progrès durables dans la lutte à la COVID19 et un rétablissement des activités. Les pays producteurs s’étaient entendus pour réduire l’offre d’environ 10% mais ils ont trop tardé à s’entendre et le mal était déjà fait. La diplomatie de bomber le torse trop longtemps au lieu de penser à l’intérêt collectif aura coûté cher à tout le monde, eux inclus.

Quelques conséquences réelles

• Pour les pays producteurs
Les pays pétroliers, dont le Canada et les USA font partie au premier plan, sont les plus durement touchés par la dynamique actuelle. Non seulement certaines entreprises du secteur pourraient-elles devoir fermer les livres si la crise se prolongeait (par manque de revenus pour couvrir leurs lourdes dettes), causant ainsi des pertes définitives aux investisseurs directs dans ces entreprises, mais il s’agirait aussi de milliers d’emplois bien rémunérés à remplacer difficilement dans un paysage qui s’est beaucoup éloigné du plein emploi.

• Pour la population en général
Pour ceux qui font partie des travailleurs et consommateurs qui doivent encore faire le plein, certaines économies à la pompe sont évidentes avec des prix qui s’approchent des 70 cents le litre au moment d’écrire ces lignes. Il n’y a pas si longtemps, c’est un litre à 2,00$ que l’on appréhendait. Mais comme nous le disions d’entrée de jeu, des prix à la pompe qui s’approchent de zéro ne sont pas pour demain, surtout considérant qu’une part substantielle du prix est constituée de taxes qui ne se transigent pas sur les marchés (pas encore du moins, on dirait que tout est possible en ce moment).

• Pour les entreprises en transport
Le camionnage fait partie des secteurs dont les coûts d’opérations sont allégés par la baisse des prix à la pompe. En ce qui concerne les compagnies aériennes, qui sont pour plusieurs sur le bord de la faillite avec des avions désertés et plusieurs destinations annulées, il deviendra relativement moins coûteux d’opérer dans l’attente d’un retour à des jours meilleurs. Parlant de cette attente, le fait que le prix du pétrole ait tant chuté à la fois ponctuellement et sur les marchés des Futures indique malheureusement que les marchés ne prévoient pas une reprise rapide du secteur aérien ni de l’économie en général.

Prendre son gaz égal

Nous assistons à des événements économiques historiques, soit, mais une certaine normalité reviendra et nous le savons tous. À terme, le coronavirus sera vaincu, les bourses retrouveront un comportement plus stable et lié à une croissance réelle, les voitures réapparaîtront sur les routes (oui, la congestion aussi), les avions retapisseront le ciel des grandes métropoles et les touristes ressortiront de chez eux.

Sur le moyen terme, il est donc peu risqué de se dire que le pétrole retrouvera un prix beaucoup plus élevé que ce qu’il a été ces dernières semaines avec une demande qui resurgira éventuellement. En fait, tout redeviendra plus «normal» que ces dernières semaines.

Cela étant, avec toute l’aide gouvernementale déboursée depuis le début de l’année, qui se chiffre en milliers de milliards de dollars, le temps du remboursement de ces dettes publiques devra aussi se pointer. Soyez donc bien certains que si des surprises comme des taux d’intérêt et un prix du pétrole négatifs sont possibles, tel ne sera jamais le cas pour les taxes à venir…

Prenez bien soin de vous!

Votre équipe